A l’occasion du séminaire européen Leader organisé dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, découvrez l’article publié le 10 mars 2022 par Frédéric Fortin pour Localtis intitulé : « Quand la ruralité s’éveillera »

Quand la ruralité s’éveillera, le monde… s’apaisera ? Ragaillardis par les conséquences de la crise sanitaire et la publication récente d’une stratégie de la Commission européenne en faveur des zones rurales, les défenseurs de la ruralité entendent passer à l’offensive. À l’occasion d’un séminaire européen organisé par Leader France dans le cadre de la PFUE, on a célébré « une ruralité conquérante », qui doit prendre conscience de ses forces, de ses responsabilités et affirmer ses particularités.

LEADER

C’est à Ploeuc-L’Hermitage, en Bretagne, que s’est tenu, les 7 et 8 mars, « un des temps forts de la présidence française de l’Union européenne en matière de ruralité », dixit le tout nouveau ministre à la Cohésion des territoires, Joël Giraud. La ville trahit l’organisateur : Leader France, présidé par Thibault Guignard, maire de cette commune nouvelle des Côtes-d’Armor dont il ne cesse de vanter les charmes. Pas moins de 300 personnes venues de 21 États membres ont pu les découvrir lors de ce séminaire qui n’était « pas seulement technique », mais aussi « une véritable réunion politique », a souligné Joël Giraud. Non sans raison. La programmation 2023-2027 a évidemment fait l’objet d’échanges entre élus et techniciens des groupes d’action locale (GAL), même si l’on attend toujours les adoptions du plan stratégique national et de l’accord de partenariat. La Journée internationale des droits des femmes a également été célébrée, avec la remise du premier « prix européen Leader pour l’égalité femmes-hommes en milieu rural », élu en direct par les congressistes parmi les six projets présentés – « une occasion de montrer la diversité des réalisations soutenues par Leader », explique Thibault Guignard. Mais le séminaire aura surtout été l’occasion d’exprimer une vision forte de la ruralité – dont on a pris soin de souligner la diversité.

Une ruralité à l’offensive, alliant innovation…

« Nous devons faire de la ruralité une ruralité conquérante, et pas une ruralité gémissante. C’est vrai qu’il y a un tas de choses que l’on n’a pas, que les États doivent faire des choses. Mais je crois surtout que notre premier problème, c’est qu’on ne croit pas assez en nous, qu’on n’a pas assez d’estime de soi. Or c’est chez nous que va se jouer la viabilité de la Terre […]. C’est chez nous que vont se jouer la résilience, l’autonomie, la souveraineté », tonne Yolaine de Courson, députée de Côte-d’Or (Modem) et présidente du groupe d’étude « Enjeux de la ruralité » à l’Assemblée nationale. En introduction des débats, le ministre chargé des relations avec le Parlement, Marc Fesneau, en visio, a tenu le même discours : « Le monde rural n’est pas un problème, mais plutôt la solution à bien des problèmes. Encore faut-il qu’il en soit conscient. » Et d’appeler les participants à être « positifs, actif, certes réclamant et demandant, mais en même temps pas repliés sur les difficultés, ouverts sur les potentialités », sans peur d’être contredit. En préambule, le ministre avait pris soin de faire valoir ses galons d’ancien animateur de programme Leader, dont il a vanté « l’état d’esprit particulier » : « Leader est le programme de ceux qui veulent développer, de ceux qui veulent innover, de ceux qui sont optimistes, qui croient en la capacité territoriale des femmes et des hommes qui la composent. »

… et conservatisme

Dans son discours de clôture, Joël Giraud a lui aussi vanté cette ruralité « conquérante », dénigrant en même temps « celle qui couine et qui pleure en disant que c’était mieux avant ». Le trait, sans doute à visée franco-française, a toutefois en partie manqué la cible. « La force de la ruralité, c’est la capacité de préserver, de retenir, de conserver », à l’opposé « d’un modèle de vie urbain inodore, incolore, où c’est partout pareil, où l’on voit toujours la même chose », plaide ainsi l’espagnol Francés Boya Alos, secrétaire général du Défi démographique au sein du ministère de la Transition écologique et du Défi démographique. « Il faut lancer un message très fort aux administrations européennes, mais aussi aux États, pour leur dire qu’il faut absolument préserver ces cultures rurales », a-t-il enjoint. Un message semble-t-il bien reçu par Valérie Drezet Humez, cheffe de la représentation de la Commission en France. Quasi lyrique, elle célèbre « une dimension d’appartenance qui est, dans les territoires, physique, presque émotionnelle », évoquant des « valeurs qui sont peut-être plus propices à créer du lien, de l’envie, de s’investir ». « La start-up nation et le tout numérique, à un moment donné, ça ne va plus. Ca ne crée pas d’engagement, ça ne crée pas la démocratie », affirme Yolaine de Courson, mentionnant les questions clés de « consultations et d’engagements des gens », non sans faire écho à des débats récents conduits tant au Sénat qu’au Comité européen des régions (CdR).

Crise du Covid et pacte rural

Ce changement de tonalité n’est pas nouveau, mais résonne chaque jour davantage. Deux éléments ont particulièrement ragaillardi le monde rural :
– la crise du Covid, d’abord. « Elle a été dramatique mais a révélé aussi à beaucoup de nos concitoyens les capacités d’attractivité et de résilience des territoires ruraux », pointe Marc Fesneau, prenant appui sur la tension du marché immobilier dans les campagnes (que d’aucuns relativisent). Ce phénomène de « transhumance » est « peut-être un phénomène qui rebat certaines cartes », estime Valérie Drezet. Elle insiste néanmoins sur « l’importance de voir comment garder cette activité dans la durée » et de « capitaliser dessus ». Joël Giraud espère lui aussi que « le retour d’une population urbaine dans les zones rurales ne soit pas un effet de passage, avec certes une DMTO [droits de mutation à titre onéreux] en augmentation, mais qui n’aurait pas de lendemain » ;
– la communication de la Commission de juillet dernier sur les zones rurales (voir notre article), ensuite. « La Commission a, enfin, une vision pour le monde rural », s’exclame Ulrika Landergren, membre du CdR, saluant la volonté d’y diversifier les activités économiques « alors que le développement rural a été réduit à sa dimension agricole pendant trop longtemps ». « Leader ne doit pas être quelque chose d’annexe à la PAC. La ruralité agricole n’est pas suffisante pour asseoir des populations sur un territoire », l’a rejoint Joël Giraud, tout en concédant que « la ruralité ne peut certes se passer de l’agriculture ». Pas seulement la ruralité, surtout au moment où « la guerre en Ukraine nous invite à revenir à l’essentiel, aux fonctions vitales d’un territoire. Elle interroge de nouveau la place de l’agriculture, sur la manière dont elle assume à la fois la transition écologique et son rôle premier, celui d’assurer l’alimentation de la population », pointe Marc Fesneau. À dire vrai, la crise du Covid avait déjà souligné l’importance de la souveraineté alimentaire, la nouvelle PAC n’ayant pas suscité le débat en la matière (voir notre article du 4 janvier 2022). Valérie Drezet souligne elle aussi « la nécessité de maintenir une agriculture sur place, en permettant aux jeunes de s’installer, en leur permettant d’avoir accès à l’expérience des plus anciens » – la transmission, toujours. La profession n’est pas épargnée par l’exode des jeunes et la fonctionnaire insiste sur la nécessité d’une « publicité un peu attractive pour des métiers méconnus, qui ont beaucoup évolué en termes de technicité ».

Faire simple… à tous les échelons

Naturellement, on n’a pas manqué de dénoncer « l’excès de bureaucratie ». Si les débats ont montré qu’elle n’était nullement une spécificité franco-française, l’Hexagone tient son rang. Le ministre Fesneau lui-même a alerté sur le fait que « Leader peut mourir d’une forme de rigidité trop grande de nos process administratifs, nationaux comme locaux, les grandes collectivités – je parle en France des régions – pouvant [engendrer] aussi ce type de difficultés ». Un discours, récemment tenu par Thibault Guignard au Sénat, qui ne pouvait que ravir Valérie Drezet : « Souvent, les critiques qu’on peut entendre sur la complexité sont prêtées à Bruxelles, mais ne sont pas créées à Bruxelles », défend-elle. La fonctionnaire s’est en outre employée à démontrer « la volonté de facilitation » de la Commission, notamment via la simplification du cadre stratégique de la nouvelle programmation. Elle a par ailleurs appelée à en finir avec « une sectorisation des problématiques et des réponses – le fond X pour ça, le fond Y pour ceci. On doit vraiment repenser les intersections », non sans apporter ainsi de l’eau au moulin d’un Thibault Guignard qui insiste « sur l’importance du multi-fonds ». Une opération pluri-fonds « d’une complexité sans nom », relevait le même jour à Nantes Michael Quernez, maire de Quimperlé, à l’occasion du Sommet Climate Chance, que beaucoup de porteurs de projet se gardent bien d’engager (voir notre article dans cette même édition). « On est tous là pour avoir des résultats, pas juste pour souffrir en remplissant des dossiers », concédait Valérie Drezet.

Leader, réponse au défi démocratique

Marc Fesneau a également martelé la vocation de Leader « de porter à la fois des initiatives qui paraissent modestes tout autant que des projets qui sont de plus grande ampleur ». « L’attention portée à des projets de plus petites dimensions permet aux citoyens de retrouver leur place. La volonté d’appropriation territoriale par les citoyens peut aisément être construite au travers du programme Leader », plaide-t-il, non sans faire écho au « défi démocratique » mis en exergue par Yolaine de Courson ou Francés Boya Alos. Un discours qui ne laissera pas insensible en France, à l’heure où certains redoutent un dévoiement du programme (voir notre article du 4 janvier).

Source : https://www.banquedesterritoires.fr/quand-la-ruralite-seveillera